Le couronnement de la rosière

Cérémonie ancestrale, célébrée dès le Moyen-Âge, le couronnement de la rosière consiste à honorer une jeune fille dont la conduite irréprochable, la vertu, la piété et la modestie ont particulièrement marqué son village ou sa commune. Quelques bourgades organisent encore de nos jours de telles festivités, en les adaptant aux mœurs actuelles et en privilégiant les parades soutenues par les harmonies municipales.
Dès 1907, alors qu’il vient de participer à l’inauguration du nouveau Palais des Régates et que quelques villas accueillent leurs nouveaux propriétaires au Nice-Havrais, Georges Dufayel propose à Joseph de Querhoënt que la ville de Sainte-Adresse honore sa propre rosière en y associant toute la commune.

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Une commission municipale, constituée par deux adjoints au maire et cinq conseillers, est chargée d’organiser cette célébration. L’annonce de cette fête ayant été réalisée par affichage dans la commune, les élus nomment un comité de « dames patronnesses » qui sont chargées de choisir l’heureuse élue parmi les nombreuses postulantes. Chaque dossier, précisant l’état-civil, l’environnement familial, l’instruction et la motivation des candidates est scrupuleusement étudié.
La première rosière se nomme Georgette Démare. Agée de 21 ans, seule fille majeure d’une famille de huit enfants et dont le père et le frère aîné viennent de décéder, elle a reçu son instruction primaire à l’école communale, dirigée par Sœur Albertine, et aide désormais sa mère à élever ses frères et sœurs par son travail de domestique.
Et c’est par une fête grandiose, glorieuse pour Georgette Démare, et fructueuse pour le commerce local, que la Vertu fut récompensée à Sainte-Adresse. Promenée dans un magnifique landau orné de roses blanches et de lys depuis son modeste logis de la rue d’Ignauval, la rosière et son cortège sont conduits par une escorte de conseillers municipaux en redingote et en habits jusqu’à la mairie et reçus par Joseph de Querhoënt devant le perron de la mairie :

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« Mesdames, Messieurs,
On attribue l’origine de l’institution des rosières à Saint-Médard, évêque de Noyon. Cet évêque qui était en même temps seigneur de Salency, petit village proche de Noyon, avait imaginer de donner tous les ans à celle des jeunes filles de sa terre qui jouissait de la plus grande réputation de vertu, une somme de 25 livres et une couronne de roses.
C’est en l’an 525, c’est-à-dire il y a bientôt 14 siècles, que l’évêque qui fut Saint Médard, donna le prix à sa propre sœur, que la voix publique désigna comme la plus vertueuse du pays.
La récompense instituée par l'évêque de Noyon devint pour les jeunes filles de Salency un puissant motif de sagesse. Aussi l'évêque, frappé du résultat, perpétua son établissement.
Pour ce faire, il détacha de ses terres 15 arpents dont les revenus furent affectés au paiement des 25 livres et des frais accessoires.
Après Saint Médard, le seigneur de Salency perpétua l'institution jusqu'au XVIIIe siècle, et les chroniques de l'époque relatent le cérémonial très important et somptueux de cette fête, qui avait lieu chaque année, le 8 juin, jour de la fête de Saint-Médard, fondateur.
C'est vers cette époque que le Salency cessa d'avoir, en quelque sorte, le privilège unique des rosières.
Cette fête s'étendit à la Lorraine et aux environs de Paris, et même en Normandie où en 1775, Monsieur et Madame Élie de Beaumont fondèrent à Canon, près de Caen, une fête de rosières.
L'acte de cette fondation et ses statuts approuvés par le parlement de Rouen spécifièrent que les trois communes de Canon, du Vieux-Fumé et Mézidon concourraient au choix d'une « honnête fille ».
Peu de temps après, on fonda une fête analogue à Bricquebec et à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Normandie.
La fête qui nous réunit aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, est, comme vous le voyez, d'origine fort ancienne, aussi m'a-t-il paru intéressant d'en relever la tradition dans un court exposé, au moment où dans notre charmant petit Sainte Adresse, paré de sa verdure de printemps, nous avons la bonne fortune grâce à l'initiative d'un homme de bien, d'introduire chez nous une coutume fort belle, fort sage qui après 14 siècles est encore célébrée avec tant d'éclat à Nanterre, à Bourg-la-Reine et dans d'autres localités des environs de Paris.
C'est l'année passée dans ce ravissant et grandiose quartier de Saint-Denis-Chef-de-Caux, qu'il a fait surgir du néant en 15 mois, que M. Dufayel me dit qu'il ne voulait pas localiser dans le seul quartier des Falaises le privilège des fêtes.
C'est pour ce faire qu’il me suggéra de créer une fête de rosière, et qu'il mettait à ma disposition un fort beau cadeau à l'heureuse élue.
Avec le concours de l'Union des Commerçants qui a apporté un grand soin à l'organisation matérielle de la fête, avec celui des excellentes Dames de Sainte-Adresse, dont la bienveillante sollicitude a bien voulu s'exercer pour choisir parmi cinq charmantes candidates, nous sommes arrivés à réaliser le désir de M. Dufayel et à donner aujourd'hui une fête charmante, qui laissera un durable souvenir et qui, nous l’espérons, ne sera pas sans lendemain.
Maintenant, Mademoiselle, j'arrive à la partie de ma tâche qui, croyez-le bien, n’est pas la moins agréable, c'est celle de dire tout le bien que je pense de vous.
Vous faites partie d'une honorable famille d'artisans, famille nombreuse qui a eu la douleur de voir disparaître son chef il y a quelques années. C'est alors qu'avec le naturel qui fait la valeur de votre dévouement, vous avez aidé votre excellente mère à élever vos jeunes frères et sœurs. Depuis, vous vous êtes placée, et là, comme dans votre famille, vous vous êtes fait remarquer par votre attachement à votre devoir. Ce sont de ces faits accomplis avec simplicité qu’est née l'estime dont vous vous êtes entourée, et qui vous ont valu d'être choisie parmi toutes vos compagnes également très méritantes.
Je vous en félicite Mademoiselle, et vous en complimente de tout cœur, tant en mon nom personnel qu’en celui du Conseil municipal, qui a tenu à joindre au splendide cadeau que vous attribue M. Dufayel, un souvenir qui vous aidera, dans un temps court, je l'espère, à créer vous aussi, une famille de braves et honnêtes gens.
Je vous dis donc au revoir, Mademoiselle, et à bientôt, dans cette mairie, où je serais heureux, si vous le voulez, de cimenter moi-même votre union avec l'heureux élu de votre cœur.
D'ici là, permettez à votre vieux maire de vous embrasser en vous souhaitant joie et bonheur ».

Ce discours marque le début des réjouissances : le cortège se rend sur le plateau des phares par la route de la Hève, assiste à un concert avant de rejoindre le Carreau par la rue de la Solitude et raccompagner la rosière… qui avait besoin de se reposer avant de nouvelles festivités. L’instant est alors choisi pour s’engouffrer dans des différents cafés et restaurants, et prendre possession des tonnelles et des tables sous un soleil radieux pour y déguster des assiettes de crevettes traditionnelles et faire sauter quelques bouchons de cidre.


Après avoir récupéré leur nouvelle rosière, les heureux habitants de Sainte-Adresse ont reformé leur cortège pour se rendre dans la grande salle du restaurant Pradier où un gigantesque banquet les attendait : de nombreuses aubades ont rythmé la soirée avant que M. Candon, premier adjoint, ne félicite l’héroïne de la journée en lui remettant un cadeau de 400 francs, un bijou offert par l’Union des Commerçants, et… une splendide chambre à coucher, don heureux de Georges Dufayel.


La fête ne prit fin qu’après une retraite aux flambeaux à laquelle chaque habitant a tenu à prendre part !
 

Cette heureuse initiative fut reconduite en juin 1910, mais la Grande guerre et le décès de Georges Dufayel la fit définitivement oublier.