La batterie de l'Épi

La Batterie de l’Épi de Sainte-Adresse, située au pied des falaises de la Hève, a été établie sur un éboulement de falaise assez ancien. Elle était destinée à croiser ses feux avec ceux des batteries des Huguenots, de l’Épi à Pin et de la jetée du Nord. Classée par décret du 2 mars 1864, elle avait été construite sur les terrains d’une batterie plus ancienne, augmentée dans un premier temps par une acquisition réalisée en vertu d’une décision ministérielle du 23 juillet 1842, puis par acquisition de nouveaux terrains. Elle est déclarée d’utilité publique par décrets des 8 mai 1849 et 6 septembre 1859. Ces dernières acquisitions ont donné lieu à des jugements d’expropriation prononcés par le Tribunal civil du Havre le 25 novembre 1859.
La crête de la batterie se trouvait à 23,75 m d’altitude. En 1884, son armement se composait d’un canon de 27, un canon de 24, deux canons de 16 et deux obusiers de 22 rayés et frettés.

PB 1083
                         
En 1861, le Génie obtient un agrandissement de la batterie, par une expropriation de terrains situés à l'Ouest des casemates.
Au cours des années 1863 et 1864, une étude est réalisée pour permettre la construction d'un futur accès au plateau de la Hève : le Chemin de Grande Communication n°32, communément appelé Route de la Hève. Le service du Génie procède à cette époque à la mise en place de trois épis sur le domaine maritime et à l’édification d’une estacade pour protéger les terrains militaires.
Le 13 juin 1864, un jugement est rendu et fixe les indemnités aux propriétaires et locataires des parcelles expropriées pour l’établissement du Chemin Vicinal n°32 d’intérêt communal.


Au cours de l'année 1865, des conférences techniques se tiennent à l’initiative du service vicinal, de concert avec l’administration du Génie, en présence de M. Dehors et de M. Matenas, propriétaire des Parcs aux huitres, pour essayer d’endiguer le glissement des terres à l'Ouest de la batterie. Au vu du procès-verbal de ces réunions, un arrêté préfectoral, signé par M. Leroy en date du 22 août 1865, autorise des travaux de protection. Le service du Génie finance l’épi n° 5, situé au sud-est de son terrain, le service vicinal construit l’épi n° 6 à une distance de 50 m à l’est du précédent, et Désiré Dehors l’épi suivant qui portera son nom ; de plus, une estacade est édifiée, dans le prolongement de celle préalablement construite par le service du Génie, reliant la batterie aux établissements Matenas. L’acte administratif stipule expressément que l’entretien des ouvrages restera à perpétuité à la charge des intéressés. Un an plus tard, le génie fait construire un épi supplémentaire à l’Ouest des précédents, sur la pointe sud de l’ouvrage, et qui prendra le nom de Grand épi.

Le 12 décembre 1878, un éboulement considérable dans la falaise, sur le côté nord du lacet de la voie au dessus de l’ancien Parc aux huitres est constaté ; l’éboulement occasionne des affaissements de terrains sur des tronçons du chemin vicinal 32. M. Angu, agent voyer cantonal, considérant que cet éboulement est étroitement lié à des travaux d’excavations de 600 m3 de roches, établi à ce sujet un procès-verbal de contravention à l’encontre de M. Désiré Dehors.


En 1880, Désiré Dehors cède à M. Provost une parcelle de terrain située en bordure de rivage, pour un projet de construction par la société du Casino.
En juin 1881, des travaux importants d’excavation pour l’érection d’un casino déterminent des mouvements très inquiétants dans les massifs de basse falaise en dessous du Chemin vicinal n°32. Un mur de soutènement est construit dans l’excavation, mais retrouvé cassé en biais vers l’ouest quelques jours plus tard. Le chantier du casino est abandonné à cette période par décision préfectorale. Trois experts, MM. Perquer, Platel et Testu, sont nommés par ordonnance du tribunal civil du Havre à la demande du Préfet, et ont pour mission de constater l’état des lieux litigieux, rechercher les causes des fissures qui se sont produites entre le casino et le chemin n°32, les causes de l’affaissement du chemin, indiquer les moyens nécessaires pour remédier à cet état des choses et en empêcher l’aggravation, faire exécuter immédiatement sous leur surveillance les travaux jugés indispensables. Il ne fait alors aucun doute que ce sont les travaux de déblai du terrain de M. Provost qui sont cause de l’accident survenu au chemin, par le fait d’avoir négligé d’étayer les terres en temps utile, et s’en être préoccupé alors que le mal était déjà effectué. Le dossier d'expertise propose l’étaiement des terres en déblai de la côte dans le terrain excavé de M. Provost et la construction d’un mur de soutènement des terres dans le vide de l’excavation, établi de façon à permettre l’écoulement des eaux pluviales, et la captation des sources apparaissant au cours de ces travaux par tuyaux en plomb, les dirigeant au loin afin d’éviter leurs effets de désagrégations dans le sol et les maçonneries.

MF 6410
 
La Batterie de l’Epi se trouvait à l’emplacement exact de l’actuelle piscine de la Société des Régates du Havre, et l’excavation pratiquée par M. Provost pour construire son Casino a été réalisée à l’endroit où a été érigé le palais des Régates après la 2nd guerre mondiale.


Le 2 juillet 1881, l’agent voyer de l’arrondissement du Havre établi un rapport, reprenant les conclusions des experts, et qui présente une évaluation des frais à réaliser pour effectuer les travaux de consolidation : Construction d’un mur de soutènement (fouilles, pieux, mur en moellons, conduites d’eau, remblai, empierrements, etc) : 100.000 francs, et établissement d’un perré devant le banc d’argile : 25.000 F (la partie de falaise ébranlée par les travaux du casino représente une surface approximative de 10.000 m², dont la hauteur moyenne peut être évaluée sur la couche glissante à 15 m, soit une masse énorme de 150.000 m3 en mouvement)…


Le 7 novembre 1881, le Préfet demande à l’agent voyer en chef (Rouen), en accord avec le ministre de la guerre, d’éviter une poursuite en instance qui pourrait être onéreuse et obtenir de M. Provost une forte indemnité à l’amiable. Trois jours plus tard, un jugement est donné, condamnant solidairement le propriétaire, l’architecte et l’entrepreneur à exécuter les travaux nécessaires.


Le 22 décembre 1882, les travaux n’ayant pas été réalisés, le polygone ABCDEFGHI qui appartient à M. Provost se trouve vendu par décision du tribunal, et acheté par M. Dehors (ancien propriétaire) par adjudication pour la somme de 6.850 francs.


Le 20 janvier 1883, l’agent voyer d’arrondissement AUGU effectue un rapport complet, destiné à ses supérieurs hiérarchiques, concernant les causes des mouvements de terrains constatés depuis les travaux d’excavation pour la construction du Casino de Sainte-Adresse. Pour éviter de nouvelles déconvenues qui pourraient concerner la Batterie de l’Epi, le ministère de la Guerre obtient alors par décret du tribunal, qu’une expropriation soit notifiée à M. Dehors. Le 6 mai 1883, ce dernier obtient 9.900  F de dédommagement (environ 50% de plus-value – il en demandait 34.692 F, se basant sur la future explosion des prix déterminée par la construction prochaine du Boulevard maritime)


Au mois d'août 1909, des violentes tempêtes arrachent les bancs de galets couvrant la plage au sud-est de la batterie et dénudent l’estacade de protection du rivage sur une hauteur de 3 m ; les planches qui la constituent sont enlevés par les flots et d’importantes masses de terre glissent sur la grève.


En 1929, l’emplacement de la Batterie forme un vaste terre-plein, sensiblement horizontal du Nord jusqu’aux casemates, avant de s’incliner en pente rapide jusqu’à la mer ; sa surface totale est de 8662 m². Elle comprend 4 casemates voutées divisées en 2 ou 3 pièces de surface variant de 14 à 45 m² pour la plus étendue ; un réduit central, casematé et vouté recouvert de terrasse, divisé en 11 pièces et d’une surface de 380 m² ; un bâtiment en briques, toiture en terrasse, ayant 36 m² de surface ; un petit bâtiment de 2,88 m² contigu au précédent avec toiture en béton armé ; un bâtiment en briques de très mauvais état, toiture en bois recouvert de carton bitumé, d’une surface de 6 m² ; deux autres bâtiments en maçonnerie de briques, toitures en tôle ondulée et de surface respective de 66 et 17 m² ; un dernier bâtiment, ancien water-closet, à l’état de ruines…
D’autres bâtiments, qui existaient auparavant, ont été détruits par l’éboulement de la falaise ou emportés par la mer. Les ouvrages de protection contre la mer font également partie des bâtiments et sont constitués du Grand épi, réalisé en béton armé et maçonnerie, remis en état par le service du Génie en 1866, des épis 2, 3 et 4 construits en 1863 et d’une estacade, partie en charpente, partie en maçonnerie, édifiée en bordure de mer au droit du terrain.


La Batterie n’ayant plus d’intérêt stratégique, les immeubles qui la constituent passent dans le domaine militaire privé. Un procès-verbal d’affermage par adjudication publique, pour 3, 6 ou 9 ans, a lieu le 29 janvier 1929. Pas moins de 32 lots sont ainsi attribués, constitués de parcelles intéressant le voisinage direct ou de petites surfaces pour commodités personnelles. Ainsi, M. Godet, habitant la villa Les Flots, se voit attribuer une parcelle contigüe à sa propriété, de 320 m² pour une redevance annuelle de 800 F ; M. Florentin Gueroult, habitant rue Marie-Talbot, obtient deux parcelles pour y installer des cabines de bains, situées au Sud et au Sud-est, de surface totale de 974 m², pour un montant de 5.800 F annuel ; au Sud également, MM. Mesnil et Simon obtiennent des surfaces plus réduites mais de destination identique ; MM. Ramelot et Perrochon seront plus discrets, leur demande concernant un simple emplacement pour y échouer leur barque de pêche, soit 0,15 m² : ils seront entendus pour 10 F annuels.


A la suite de la loi du 28 mars 1933 autorisant le déclassement et l’aliénation des ouvrages de la Batterie, son déclassement a lieu le 12 mai 1934 (J.O. page 4706) et l’aliénation quelques semaines plus tard. Le 28 janvier 1838, le conseil municipal de Sainte-Adresse sollicite d’urgence son acquisition amiable contre un versement de 5.000 F, pour entreprendre un travail immédiat de défense contre la mer et d’amélioration de la voirie ; un arrêté préfectoral abonde dans ce sens une semaine plus tard, arrêté qui est suivi d’une adhésion du Ministre de la Guerre par dépêche du 30 octobre suivant (n°29.625 2/4). Ce même jour la vente est signée dans les locaux de la Préfecture pour un montant de 5.000 F. Cette date correspond à l’extinction des différents baux signés par le Service du Génie.


Une vente aux enchères publiques est organisée par l’état le 5 juillet 1938 ; elle concerne le terrain situé à l’ouest de la batterie, d’une contenance de 5.782 m², cadastrée sous les numéros 438p et 440p de la section A, bornée au nord par la rue Maurice Taconet, au sud par le rivage de la mer, à l’est par un chemin d’accès à la plage et la propriété de M. Reinhardt, à l’ouest par la Société des Régates du Havre, ainsi que les ouvrages de protection contre la mer. La mise à prix est fixée à 75.000 F.