Le "Radar" a-t-il été inventé à Sainte-Adresse ?

Le titre est certes un peu aguicheur !  Et pourtant, événement ignoré par la plupart des Dionysiens, c’est à Sainte-Adresse que des essais fondamentaux ont été réalisés, pendant plus de deux années, et qui ont permis, à l’aube de la seconde guerre mondiale, de préparer l’explosion technologique qui a donné naissance au « Radar ». En collaboration avec Yves Blanchard, ancien directeur de recherches à Thomson-CSF, et de l’unité « Electronique de Missiles » de Thalès systèmes aéroportés et de Jean-Hugues Caillard, ingénieur de recherches de la société Thalès, l'APSA a mené son enquête...


L’un des événements déclencheurs de ces recherches, catastrophe qui a longtemps marqué les esprits, fut le naufrage du Titanic. Et si de nombreux pays - le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon notamment - effectuaient à cette époque (entre 1930 et 1940), dans un contexte militaire, des études sur des dispositifs permettant de situer des objets à grande distance, ou plus simplement rendus invisibles en raison de conditions météorologiques, la société française C.S.F - Compagnie Générale de Télégraphie Sans Fil – s’était fixé comme objectif d’équiper les navires de commerce et autres transatlantiques de « détecteurs d’obstacles ». Dès 1930, les recherches des laboratoires de cette société sur les ondes ultra-courtes, générées par des tubes de type « magnétrons » avaient laissé des résultats prometteurs, et en avril 1934, le physicien Henri Gutton, qui travaillait sous la direction de Maurice Ponte, eut l’idée d’utiliser les ondes décimétriques générées par ce dispositif, constitué par deux anodes en forme de demi-cylindres entourant une cathode. Le programme visant la recherche des obstacles en mer, des équipements furent installés sur un bâtiment de la Compagnie Générale Transatlantique, l’Orégon, puis à bord du Normandie, sans conteste le premier navire à être équipé d’un radar à ondes décimétriques. Les premiers résultats restèrent mitigés, en partie à cause de la fragilité des matériels mis en œuvre et du manque de puissance des signaux émis. Au retour de sa « croisière » sur Normandie, Henri Gutton fit le choix définitif, en accord avec Maurice Ponte, d’un système à impulsions qui permettra d’augmenter significativement la puissance, et d’autre part de continuer les expérimentations à terre : à cet effet, la C.S.F. loua à la famille Hasselmann, au printemps 1936, un terrain situé à Sainte-Adresse, au 20 de la rue du beau panorama, et sur lequel était édifié un solide abri qui sera modifié en laboratoire.

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Et c’est ainsi, dans cette modeste « cabane » familiale, baptisée pompeusement sur le tard « Villa Magali », située près de la place Frédéric-Sauvage, au débouché du boulevard Dufayel, et qui offrait une excellente vue sur la baie de la Seine et le chenal d’entrée du port du Havre, qu’ont été réalisés tous les essais rendus nécessaires par la recherche expérimentale.

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En 1937, le tube Magnétron utilisé fournissait en régime continu une puissance de 10 watts ; grâce à l’amélioration de la cathode, la puissance en crête des magnétrons fut progressivement portée à 50 watts. Les directeurs de la CSF organisèrent alors, le 25 mars 1939, une séance de démonstration à laquelle furent conviés tous les dirigeants des services techniques de télécommunications des divers ministères. Les invités purent suivre sur l’un des premiers oscillographes importés des Etats-Unis, les évolutions d’un remorqueur, loué pour l’occasion, qui se déplace dans le champ du faisceau d’émission, dans une zone comprise entre 3 km et 10 km, mais également tous les navires entrant au Havre, petits et grands, jusqu’à des distances de 12 à 15 milles et une précision de direction angulaire de 2 à 3 degrés.
À la fin de mai, grâce à un magnétron plus puissant, les distances étaient presque doublées et la précision des mesures augmentées.

Malgré cet incontestable succès, et au fort désappointement des ingénieurs, les appréciations des autorités restèrent mitigées ; les seuls représentants de la marine furent vivement impressionnés et proposèrent, dans le feu de l’action : « Qu'on mette le croiseur Strasbourg à la disposition des constructeurs pendant un mois ». Des améliorations apportées au Magnétron – anode à segments multiples, puis cathode à revêtement d’oxyde - permettront d’obtenir des puissances d’émissions de 300 Watts, puis 1 kW.


La seconde guerre mondiale mettra un coup d’arrêt provisoire aux recherches françaises, mais dont bénéficièrent les Alliés lorsque Maurice Ponte traversa la Manche le 8 mai 1940 et déposa entre les mains des autorités britanniques un exemplaire du Magnétron français : un mois plus tard, un prototype délivra une puissance de 10 kW : le RADAR (acronyme de RAdio Detection And Ranging, proposé en 1942 par les Etats-Unis) devenait alors définitivement opérationnel et allait prendre une importance considérable pendant les hostilités.


Les recherches effectuées sur les ondes ultra-courtes ont permis d’élargir l’utilisation du radar à d’autres domaines que le militaire. Leur champ d’application se retrouve directement ou indirectement aujourd’hui dans l'aviation civile, le contrôle maritime, la détection météorologique, les fours micro-ondes, la médecine, et même dans les détecteurs de vitesse de nos routes… mais ceci est une autre histoire !